Who is in control

Isla, Siuan ft. Iris

Dans la pénombre, l'appartement d'Iris paraissait plus chaotique encore. La table basse était renversée sur le sol, répandant bougie, encens, verre d'eau à moitié plein le faux parquet. Le salon en vrac, la cuisine abandonnée, la chambre défaite portait la trace des luttes nocturnes sans victoires. Dans l'entrée régnait le même désordre avec deux paires de chaussures pèle mêle, une veste abandonnée sur le sol et par-dessus, du courrier non lu. Seule une enveloppe écrue cachetée par le seau officielle de la brigade des Sharp Eye se trouvait éventrée, par terre. Le courrier reposait à ses côtés, froissé de colère. Après avoir été démise de ses fonctions de garde du corps, c'était maintenant une mise à pied officialisée par son Chef qui écrivait qu'en vue des récents évènements et circonstances, il était préférable qu'Iris Crawley prenne un congé prolongé.  

Iris avait senti le sol se dérober sous ses pieds. A la seconde où elle avait lu les mots sentencieux, un dégoût profond avait rempli sa bouche.

Ainsi, elle avait eu raison. Les gens étaient décevants, la trahison n'était jamais loin et mettre sa confiance en l'autre était un effort terriblement inutile.

Mais plus qu'un constat évident auquel elle semblait avoir toujours cru depuis l'enfance, la colère était remontée d'un coup du fond de son estomac jusqu'à son crâne comme si elle venait de chuter de quinze étages. La migraine était revenue brusquement, lui donnant ainsi la sensation d'un marteau acharné à rompre les os de son crâne. Iris avait vomit. Pleurer. Marmonner des mots incompréhensibles. La table basse avait été bousculée d'un geste brusque du pied, elle s'était entendue pousser un bref cri très vite noyé de sanglot. La douleur était insoutenable, elle ne supportait plus les voix, les images, et cette migraine qui enflammait chaque réseau veineux.

Les dernières 48 heures ressemblaient à une bouillasse de souvenir entremêlé, baignées de douleur, de solitude, de haine. Iris n'avait fait que tourner en rond, se parler à elle-même puis à des fantômes. La migraine grinçait si fort qu'elle se serait volontiers cogner la gueule contre un mur. Au lieu de ça, elle martelait ses tempes de ses mains dans des accès de rage. A la fois pour rompre la souffrance et pour faire taire ces putains de voix et souvenirs envahissant. Impossible de dormir. De bouffer quoi que ce soit ; son estomac ne supportait rien.  
L'épuisement avait eu raison d'elle et le cancer ou la maladie mentale qu'elle soupçonnait la dominait. C'était simple, Iris ne savait plus quel jour on était. Ni quelle heure. Par moment, elle se mettait à chercher un foutu violon qui restait introuvable, l'envie viscérale d'en jouer dans les mains et dans le coeur. Puis, dans le vide, elle implorait Isla de lui venir en aide. De l'achever.
A James de revenir.

Elle devenait folle.

Elle était folle.

Elle ne reconnaissait plus les odeurs de son appartement, se sentait mortellement seule. Jamais encore un vide pareil ne l'avait gagné. Tout était perdu. Son frère, Isla, son job, sa passion. Le peu qu'elle détenait suivrait pour s'effondrer comme un château de sable emporté par l'océan.
Plus rien entre les mains que son vide pathétique avec la mort qui trainait autour d'elle sans jamais l'achever.
Le néant était effrayant. Il était celui qui gagnait son esprit malade. Dans quelques jours, elle ne serait plus que l'ombre d'elle-même, un enveloppe vide. Un Alzheimer précoce, une démence précoce, un quelconque putain de poison précoce. Et personne n'écoutait, ne comprenait. Peut-être était-ce le résultat de ses secrets trop longtemps gardés. Peut-être était-ce là le résultat qu'elle craignait depuis des mois ; la chute de tout ce qu'elle avait construit avec sa femme et son fils, trop écrasée par le poids de ses obligations et responsabilités, entravant toute possibilité de communication …

D'un geste de la tête, Iris chassa ce mirage qui ne lui appartenait pas. Les pleurs redoublèrent. Elle avait soif. Terriblement soif. Elle esquissa un maigre mouvement pour aller se servir un verre d'eau, aussitôt terrassée par une terreur ancrée. L'eau qu'elle chérissait tant, lui rappela un pan de son enfance.

"I'm sorry…" Le sanglot déchira sa gorge. Assise au milieu du salon, genoux ramenés contre elle, Iris se balançait d'avant en arrière. "I'm so sorry Celeste." Elle implorait sa sœur de lui pardonner de ne pas l'avoir écouté, d'avoir manqué de prudence envers les Malborough. Son visage angélique lui apparaissait comme si tout datait d'hier. Même alitée, elle avait cherchée à la protéger et Iris n'avait rien écouté. Les flashs s'amoncelaient devant ses yeux et la nausée redoubla. La Sharp Eye se voyait bûcher à fond sur ses études, l'envie viscéral d'attirer fierté et attention de sa famille qui la rejetait depuis sa naissance. Son âme entière consacrée à l'apprentissage de tous les éléments malgré son amour profond pour l'eau. Son chaos débordant, puissant, qu'elle sentait grandir dans ses veines. L'attrait du pouvoir et de la puissance … enfin, elle pourrait être digne des siens. Le regard de son père sur elle la comblait.

Iris gémissait, en lutte contre ces souvenirs qui ne lui appartenaient pas. Tout était pourtant si palpable et réel. Elle vit l'abus des Malborough sur sa personne, chaque membre de la famille siphonnant son Chaos et pu ressentir l'implosion de la déception. La Sharp Eye mordit son pull et poussa un hurlement animale, vaine tentative de repousser l'horreur qui la guettait dans le reflet du morceau de Siuan en elle. C'était comme si tout cela lui appartenait.

La mort de Céleste la déchira de part en part. La vidait de toute raison de vivre. Elle abandonna son corps à sa famille, se foutant bien de savoir s'ils la siphonneraient jusqu'à la fin de ses jours. Plus rien ne comptait désormais, la seule personne qu'elle avait toujours sincèrement aimé n'était plus. Elle se laissait ainsi violée l'âme, l'esprit, utilisé comme un jouet. La nausée se fit violente et éructa d'elle.  
Iris se courba en deux sans avoir le temps d'atteindre les toilettes. Elle vomit sur le parquet entre les larmes et le dégoût.

L'air manquait. La Sharp Eye s'essuya le coin des lèvres du bout de sa manche en titubant vers la porte d'entrée. Il fallait sortir. S'échapper d'ici. La tête lui tournait dans ce feu douloureux et c'est pieds nus qu'elle descendit les escaliers de l'immeuble, les cheveux en vrac et le visage terriblement froissé de cernes noirs.

Instinctivement, elle cherchait le repos et pour cela, rien ne lui sembla plus évident que le contact de l'embrun sur son visage. La Sharp Eye se traina jusqu'au phare. La route fut laborieuse, quiconque la croisait aurait pu la prendre pour une vieille folle se parlant à elle-même. Iris cherchait à conjurer les souvenirs invasifs en se répétant inlassablement un mantra.

"Iris Crawley. 34 ans. Fille de Nora et d'Arthur Crawley. Sœur du défunt James Crawley. Descendante de réfugiés. Sharp Eye."

Un rire sec et fou lui échappa. Sharp Eye … s'en était fini.

"Fini les recherches au travers le monde. Fini la quête de Morgana." Iris pleurait en ricanant. Le morceau de parchemin aura été une énième quête vaine. "You're so useless."

Les rocheuses s'étendaient sous ses pieds et bien qu'il fut tentant de s'éclater le crâne trente mètres plus bas pour faire taire cette putain de migraine, Iris emprunta un petit chemin sablonneux pour atteindre le bord de l'océan. Les pieds nus dans les grains frais, la nuit enveloppait sa maigre silhouette recroquevillée.
Iris attendait. Les Selkies ne devraient pas tardées à se présenter. Elles s'étaient toujours appréciées, non ? Ces créatures étaient les seules à pouvoir la soulager et/ou la comprendre. La mage avait besoin de les voir et de discuter avec elle, pour se soulager du poids de la solitude. Du poids d'être.

Sa main glissa dans ses cheveux, griffa son crâne.
Sous la houle aux embruns iodés, rien ne taisait. Elle n'avait plus qu'à attendre que la maladie l'emporte.

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Isla, Siuan ft. Iris

La tête enfoncée entre sur ses genoux, Iris se balançait d'avant en arrière. Les Selkies ne venaient pas. Sa migraine diminuait pour mieux revenir, sans parler du crissement incessant comme un instrument mal accordé. Ses premiers jours catastrophiques en violon retentissaient tel des interférences.

Iris avait pris la décision d'attendre que le temps passe et que la maladie, quel qu'elle soit, l'emporte. Mais c'est lorsque remonta le souvenir d'une gorge tranchée accompagnée de son gargouillis terrifiant, la Sharp Eye fut saisit d'un éléctrochoc. Le mal de crâne tambourinait toujours plus fort et rien ne pouvait stopper les images à la fois horrifiante et satisfaisante de la mort du Duc Marlborough de sa main. Pour la première fois, ce souvenir ne lui était pas étranger… seul le point de vue changeait. La vérité palpitait en elle mais court-circuité comme elle était, c'était comme chercher la solution dans un brouillard sans fin. La douleur qui frappait ses tempes la rendait folle.

Et toujours pas de Selkies en vue.
Bien.
Puisque ses amies se refusaient à elle, alors elle irait à leur rencontre.
Si cette maudite migraine refusait de disparaitre, que ces maudites voix et ces affreux souvenirs refusaient de se taire, elle les tuerait par elle-même.

Sans se défaire de ses chaussures, ni de ses vêtements, Iris s'était redressé et avançait droit vers l'océan. Il n'y avait aucune hésitation, ni aucune peur dans son pas déterminé. Il fallait que tout cela cesse. Son cerveau était en feu, rien ne lui semblait plus délicieux que de plonger toute entière dans cette étendue d'eau salée pour disparaitre et espérer que l'océan lui offre un caisson naturel. Elle le savait dur comme fer que là, sous les flots, il n'y aurait plus aucun autre bruit que la surdité des profondeurs. Iris en pleurait de désespoir. Son corps rudement mit à l'épreuve attendait la délivrance tandis que la migraine frappait, encore et encore. Un marteau. Une lame entre les vaisseaux. Milles aiguilles enfoncées dans la tête.

Ses pieds crissaient sous le sable, impatiente de pouvoir sentir les vaguelettes léchées ses orteils, pourtant toujours couverts de ses chaussures. Impatiente de sentir la glace l'enrober et tout tuer, tout taire. Dans ce lit océanique, peut-être pourrait-elle trouver le repos qu'elle mérite et que le monde ne semble pas vouloir lui accorder. Elle pourrait y hurler ses secrets, avouer ses fautes, maudire les Marlborough, pleurer sa sœur. Elle pourrait cuver la déception que les autres lui inspirent et faire face à la vérité affligeante que bâtir des amitiés ne servaient à rien.

Derrière elle, quelqu'un s'agitait mais Iris n'entendait rien. Elle devenait sourde au monde, les yeux rivés sur les vagues. L'embrun humidifiait ses tempes, à moins que ça ne soit une fièvre brutale. Qu'importe. Tout allait enfin se taire …

Une force invisible stoppa net sa progression. Iris lâcha un grognement frustrée, se retourna brusquement pour se défaire de l'emprise.

"Don't fucking touch me !"

Sa voix se brise dans l'embrun, se rompt sous les yeux d'Isla la capturent. L'esprit d'Iris se fait bousculer, son cœur tombe dans le fond de son estomac et c'est comme se faire brutalement réveiller d'un violent cauchemar. La Sharp Eye prend conscience de l'eau glaciale qui enrobe ses chevilles à chaque vague venant caresser la plage. Du sel qui voile chaque parcelle de peau découverte. Du vent marin brusque et impardonnable. De la présence de sa belle-sœur.
Son cœur frappe durement dans sa gorge et la migraine, impitoyable poison, se propulse derrière ses pupilles rétrécies.

Elle voit les lèvres d'Isla s'agiter sans entendre sa voix, puis capte les inquiétudes ou les colères qui transforment un visage qu'elle ne pensait jamais revoir ailleurs que dans des couloirs, lorsqu'elles seraient forcées de se croiser. Iris comprend qu'elle revient d'une énième crise de démence. De folie. D'elle ne sait quoi.
L'angoisse l'étreint, son corps se ramollit entre les doigts fermes d'Isla.

La Sharp Eye est désormais terrifiée, secouée de tremblement. Paumée, elle regarde tout autour d'elle, glisse sa main libre sur sa tempe brulante.

"I-Isla ?"

Est-ce vraiment elle ? N'est-elle pas encore victime d'une énième hallucination ou souvenir désastreux ? Ses doigts glacés viennent toucher ceux d'Isla qui l'agrippent toujours. Le soulagement est presque douloureux. Elle peut sentir la peau chaude de sa belle-sœur et bien qu'Isla déteste être touchée pour ne pas avoir à subir le poids des autres, la Sharp Eye raffermit sa prise sur la main de la prophétesse. Toutes ses émotions lui reviennent avec la force d'une balle. La dispute, la déception, la peur de tout perdre. Iris a la sensation de s'enfoncer dans le sable et de disparaitre derrière le voile qui la noie, jour après jour.

Elle veut s'excuser, la supplier, rugir sa frustration et sa peur. Iris sent les mots qui se bousculent dans sa gorge sans jamais parvenir à ses lèvres. Il lui faut un effort monstrueux et plusieurs tentatives pour parvenir à articuler quelque chose de cohérent.

"Help me." Sa voix se brise sous les pleurs qui la submergent. Ce que peut lire Isla sur le visage d'Iris n'est rien d'autre qu'une terreur viscérale. Iris se garde trop souvent des autres, toujours à se cacher derrière des murs et un self-control sans réellement exploser. La Prophétesse est la seule sur cette île qui perce ses défenses. La seule auprès de qui Iris ne craint pas de se dévoiler. "I don't know what disease I have, but i'm fucking crazy. I'm losing my mind. I don't know who I am, what day we are… and this headache."

Iris grimace, ses ongles enfoncées dans sa tempe et dans la peau d'Isla. Des griffes invisibles lui arrachent des lambeaux d'esprits.

"I'm dying, right ?" Elle est prise d'un rire fou qui se noie dans ses larmes tandis que son regard virevolte sur les environs sans jamais rien voir. Ses jambes sont soudainement lourdes, Iris rêve de pouvoir s'allonger et s'éteindre pour de bon. "This thing is hurting me so much." On ne sait plus trop de quoi la Sharp Eye parle et pour être honnête, elle-même se sent lentement glisser de nouveau. Elle tangue, prête à s'effacer et la seule raison pour laquelle elle n'est pas encore étouffer par les émotions d'une autre, c'est la présence d'Isla qui agit sur elle comme une ancre. Cette fois, pas de mépris, de dégoût ou de besoin viscéral de faire sortir la Seconde de ses gonds. Seule la nécessite de la garder près d'elle prime sur tout le reste.

"I need help, Isla." Lorsque les yeux d'Iris retrouvent ceux de sa belle-sœur, elle peut de nouveau sentir leur lien, ce qui n'était pas arrivé depuis trop longtemps. Une onde chaude et réconfortante l'enrobe malgré la douleur assassine. "I need you."

Iris qui déteste tant le contact ne rêve que d'une chose ; qu'Isla l'enveloppe de ses bras chaud pour la plonger dans un noir silencieux.

A la surface de ses esprits, un autre chaos virevoltait, prêt à reprendre la place qui ne lui appartenait pas.

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Isla, Siuan ft. Iris

Je suis là.

Un soulagement enfantin la submerge, redouble les sanglots dans sa gorge et son regard flou. Iris ne mérite pas l'amour et le soutien d'Isla mais tant pis, elle prend tout ce que sa belle-sœur peut lui donner tant qu'elle reste à ses côtés. Car si c'est ici qu'elle doit mourir, le crâne prêt à exploser, rien ne serait plus doux que de partir aux côtés d'une personne qu'elle aimait aussi tendrement qu'Isla.

Iris ne s'est pas sentie retirer des eaux, ce n'est que lorsque le sable lui chatouille les chevilles qu'elle prend conscience qu'on l'a éloignée de cette délicieuse étendue d'eau … Ses yeux s'y portent avec supplice. La puissance des vagues qui n'attendent qu'à s'écraser contre elle l'appel avec force. Des phalanges la sondent prestement, à la recherche du poison corrosif qui perce son crâne et laisse échapper un peu plus d'elle chaque jour. Il faut qu'Isla attrape en douceur le visage d'Iris entre ses mains pour que cette dernière papillonne des yeux pleins de larmes et reviennent à sa réalité. Même ainsi, le regard clair cherche un point d'ancrage invisible et tente de chasser la douleur terrible qui hurle dans son crâne.

La question d'Isla la surprend. Si elle le savait, elle l'aurait déjà dit depuis le début. Mais lorsqu'elle insistait en y incluant le "vous", Iris fronce les sourcils.

L'interrogation ne fait pas totalement sens, Iris a un mal fou à comprendre où veut en venir la prophétesse. Lorsque les mains de cette dernière quitte ses joues, elle veut les rattraper pour replacer sa fraicheur sur sa peau en feu. La mer à ses côtés rugit, quelques vaguelettes au loin l'attendent.

Qu'est-ce qu'on a fait ?

Avec qui ? Quand ? Iris est perdue. Qui d'autre pourrait être impliqué dans ce cancer qui la ronge autre qu'elle-même … Le morceau de Siuan s'enfonce plus fort, plus durement. Comme un couteau que l'on plante sans douceur dans la chair. Un grognement sourd s'échoue dans sa gorge, la douleur la terrasse tant qu'elle frôle le malaise. Ses sens aux abois capturent rapidement un changement dans l'atmosphère, peut-être pour une fois plus vite qu'Isla et ce n'est que grâce au fragment qui vibre à proximité de sa propriétaire.

Ce n'est pas comme un éclair de génie, ni comme une illumination soudaine et évidente, mais des zones d'ombres s'éclaircissent à l'approche de Siuan. La Spymaster s'approche des deux femmes, Isla réitère sa question et pour Iris, les choses deviennent plus claires… Parce qu'à la vue de Siuan, la Sharp Eye a une étrange sensation de "déjà-vu", comme si elle contemplait son reflet dans le miroir. Le visage froncé, elle ne comprend pas comment elle peut être à la fois dans son corps et hors de ce dernier, bien planté dans le sable. Et comme si ça ne suffisait pas, un dégoût profond lui tord les tripes. Une haine terrible.

Iris regardait son reflet et se détestait tellement. De perdre le contrôle, de ne pas savoir garder la face devant Isla.
Ignorant les propos de Siuan, le mépris surgit.

"I hate you." Les traits de la Sharp Eye – qui disparaissait sans s'en rendre compte - s'assombrissent, sa voix devient aussi dur que son regard posé sur la silhouette de Siuan. Le fragment planté dans son esprit méprisait son reflet. "You're weak. You are losing everything ; your wife, your son, you humanity. And you do nothing."

Elle serre tant les poings que ses phalanges grinces.
Une violente nausée lui soulève l'estomac. Iris se détourne de Siuan, les deux mains sur ses cuisses, à genoux sur le sable. L'esprit de Crawley était revenu en bousculant les portes, après avoir été spectatrice des mots qui n'étaient pas les siens. Pour la première fois, elle comprenait.
Iris ne savait même pas comment elle n'avait pas pu faire le lien avant. Même aujourd'hui, elle avait toutes les peines à articuler ses explications et à croire en cette raison. Seulement, depuis que Siuan était face à elle, c'était comme si l'évidence s'était imposée avec force. Le fragment de Siuan palpitait depuis, ce qui donnait à Iris un mal de crâne ciblé à l'arrière de son cerveau, comme un couteau planté dans les os.

"What have we done, Siuan…" La jeune femme se passe une main tremblante sur son visage, inconsciente que l'alternance des personnalités étaient à la fois violente et inquiétante. L'embrun caresse sa peau, mais n'adoucit pas le mal ni le feu. Lorsqu'elle retrouve les yeux inquiets et ahuri d'Isla, elle s'entend parler mollement, d'une voix sombre. "We had an argument, because of me. I overshooted the bounds and she …" Iris dégluti, mais ne baisse pas les yeux malgré la honte qui la submerge. Le mal de crâne est atroce, articuler toutes ces phrases lui coûte tant d'effort. "We fought. And she came in my head."

Jamais il n'avait été question de parler de tout ça à Isla, principalement par honte. Par peur de la décevoir d'avoir agis si stupidement, sans chercher à vérifier les propos que sa belle-sœur lui avait bredouillés dans un demi-sommeil comateux.
Iris avait mérité sa branlée, mais pas d'avoir eu le crâne fendu en deux et de subir le poids d'une vie qui n'était pas la sienne.

Les yeux cette fois baissés, elle tente de calmer son souffle qui s'emballe. Ignorant le déchirement de son esprit qui se fendille, encore et encore.

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Isla, Siuan ft. Iris

La dualité était féroce, rien ne pouvait être plus opposé que ce qui se jouait là-dedans. Le fragment se léchait les lèvres de voir Siuan si proche, en plein désarroi, affamé du chaos qui rôdait sous la peau laiteuse de la Damodred. Iris pleurait sans s'arrêter, sans sanglot, mais pétrifiée d'une terreur étonnante face à la proximité de celle qui fut son amie. Un relent de traumatisme tapisse sa langue pâteuse ; C'était de la peur pure et simple de sentir de nouveau l'esprit de Siuan défoncer toutes ses barrières et s'installer pour lui arracher sa psyché.
Son cerveau prisonnier d'un étau de feu ne trouvait plus d'ancrage. Il chavirait d'un état à un autre, entre le chaos d'Iris et de Siuan, sans parvenir à se maintenir plus d'une minute ou deux. Le changement était épuisant et semblait ne plus vraiment être si distinct, si bien que les deux personnalités se rejoignaient. Ou plutôt, se déchiraient, incapables de cohabiter.

Alors, la satisfaction de voir l'effarement de Siuan la ravissait. Rien ne lui faisait plus plaisir que de voir cette femme perdre en assurance et en arrogance, effarée devant le résultat de ses propres actions. Comme à chaque erreur de sa vie, la Damodred choisissait la lâcheté. Avant même qu'elle ne tourne les talons, Iris avait su, poussée par un instinct viscérale. La Sharp Eye pleurait de douleur et de désespoir ; Le fragment de Siuan fit naitre un rire mauvais lorsque la Spymaster tenta de s'échapper à cette situation. Iris était à l'image de la folie ; les émotions tant opposées déformaient tellement ses traits qu'elle se révélait effrayante.

Les ongles d'Isla serrèrent si fort son épaule que la douleur irradiait, malgré les tissus qui recouvrait sa peau. Sa belle-sœur se rappelait à elle, lorsque son regard glissa vers son visage contrarié, Iris su à quel point la prophétesse lui en voudrait pour sa stupidité. Elle n'avait pas hâte de lui raconter la raison de son arrivée impolie chez Siuan qui avait mené à tout ça. Pire encore, l'insulte fut si froid, si tranchant, qu'Iris se sentit se rabougrir comme une enfant que l'on gronde. De quoi faire grincer des dents le fragment qui refusait de ployer face à son ex-amante.
Iris avait toujours eu peur des colères d'Isla ; Elle préférait mille fois les feux ardents de James qui hurlait et balançait tout et n'importe quoi à travers la pièce plutôt que ce ton plus glaciale que ses origines Norvégienne. Ici, elle la craignait autant qu'elle croulait sous la honte. Le sable fut tentant pour s'y enterrer et disparaitre aux yeux d'Isla.

Mais malgré ça, un nouveau ricanement s'échappe de ses lèvres gercées. Iris ne peut rien refouler, incapable de mentir, de cacher tout ce qui la traverse, comme lorsqu'elle était gamine.
La Damodred, ne pas fuir cette fois ? Oh, elle était certaine que Siuan trouverait un stratagème pour reporter la faute sur le reste du monde plutôt qu'elle-même. Au-delà d'un égo froissé d'avoir commis cette erreur, c'était le refus et la peur de voir l'étendue de ses propres dégâts. Un réflexe si naturel pour une personne qui s'aimait trop peu.

Le chaos d'Isla fit taire le cynisme de ses pensées. Une chape de plomb lui tomba sur la nuque, obstruait jusqu'à ses voies respiratoires. La main de sa belle-sœur sur son épaule était comme incandescente, Iris aurait voulu la rejeter de peur qu'elle ne lui crame la peau. La sensation était étrange et effrayante de se sentir en compagnie des autres tout en étant si isolé d'une sphère invisible, épaisse, gorgé d'un tel pouvoir qu'il serait capable de vous briser tout entière. James avait toujours mise en garde sa cadette sur les capacités d'Isla et jamais elle n'en avait douté. Fou ou folle serait celui.celle qui tenterait de la défier.

L'arrogance du fragment se débattait en lacérant son crâne, criblant ce dernier de multiples douloureux semblable à des propulsions électriques jusque dans sa nuque.

Comment allait-elle sortir de cet enfer ? Comment se débarasser de ce foutu fragment qui la consumait à chaque seconde ? Plus encore depuis que Siuan était là où Iris sentait son propre Chaos s'amenuiser. Ces derniers jours, sa magie avait été instable, étrangement furieuse et tout ce qu'elle avait appris à maitriser lui échappait. A genoux sur le sable, la Sharp Eye se sentait s'éteindre. L'ombre de Siuan prenant toute la place en elle. Raison de plus pour haïr la responsable lorsqu'elle cracha face à Isla que non, rien ne serait fait.

La haine, ce venin putride, ravagea son cœur.
Parce que Siuan était là, à proximité et qu'il serait si facile de la bousiller autant qu'elle l'avait bousillé elle.
Parce qu'elle haïssait sa façon de venir écraser Isla, trop proche de sa belle-sœur à son goût.
Parce que le fragment haïssait son nom, son sang, ses origines qui se révélait année après année, faisant d'elle la digne héritière de la lignée des Marlborough ; Une meurtrière sans cœur.

L'idée de devenir son conduit raviva en elle des souvenirs d'une enfance terriblement malheureuse et qui ne lui appartenait pas. L'effarement était total, une paranoïa nouvelle lui souffla que, peut-être, Siuan avait agit de cette façon exactement pour cette raison : perpétuer toute l'horreur qu'elle avait autrefois subit.

Iris aurait voulu plonger sa main dans sa boite crânienne pour démolir son cerveau ardent. Ses paupières papillonnent dans le vide. Il lui faut un certain temps pour prendre conscience que Siuan se trouvait face à elle.

La seule raison qui poussa Iris a rester à sa place fut les ongles d'Isla qui se plantèrent plus férocement dans son épaule pour la maintenir en place. Sans elle, à l'écoute de ce mépris, la Sharp Eye n'aurait eu aucun remord à se jeter sur le corps détesté pour l'étrangler de ses propres doigts pour retrouver la douce sensation de l'autre fois. Pour la faire taire. Le contact de ses phalanges sur sa peau était à la fois insupportable et satisfaisant. Le fragment crissait plus fort, grinçait à lui en saigner les tempes. Il appréciait la proximité, la haine brûlante dans les prunelles claires. Il écrasait le Chaos d'Iris, impatient et affamé de se joindre à Siuan.
Le néant était menaçant, prêt à engloutir la jeune femme alors que la Spymaster la relâcha enfin.

Il fallait que tout s'arrête.

"Don't you dare."

Elle avait la gorge sèche mais lors des derniers mots de Siuan, la rage fusait hors de ses lèvres, implacable. Iris trouva les yeux d'Isla une demi-seconde avant de retrouver ceux de la Spymaster. Le visage déformé par la colère et le mépris à son tour, il semblait que la terreur à l'idée que cette femme puisse la toucher de nouveau mentalement, prit le dessus sur le reste pour quelques instants. Un frisson d'horreur lui transperce les tripes.

"Do you really think I will let you to touch me again ?" Son souffle s'écourte, sa poitrine se comprime. On ne sait plus qui articule les lèvres de la jeune femme, mais elle, elle sait. Le fragment, bien heureux de semer la discorde, noie les limites d'Iris qui éructe sa rancœur sans mesurer ses paroles. "Oh, you can despise because you're right ; I should have listen to you but you're a fuckin liar." Sans laisser le temps à Siuan ou Isla de réagir ou même de l'arrêter, Iris aux yeux injectés de sang et au visage rouge, dégueule sa haine. Appuie chacun de ses mots. "You wanted all of this. At the deepest, you wanted destroy me and you liked that. So much. I know I'm right." Plus tard après leur altercation, elle avait vu. Senti. En Siuan subsistait un enfant engendré par la violence, la rage et l'horreur. La Spymaster avait beau lutté contre ça, il lui arrivait de frémir dans l'ombre de son propre démon. Le rire d'Iris fut effrayant tant il se rapprochait de la folie pure. De violents tremblements traversent son corps fragilisé ; Elle se sent en roue libre, incapable de se taire, d'éteindre les flux d'émois qui s'expulsent hors d'elle. Aveuglée par la colère, la douleur et l'épuisement des dernières semaines, plus rien ne la retient. D'une main ferme, elle attrape le poignet d'Isla plus pour prendre appuie que pour la dégager. D'une certaine façon, sa belle-soeur lui permettait de rester plus ou moins présente malgré l'agitation violente du fragment affamé. " I don't fuckin care you hate me. I don't fuckin car if I was stupid when I came to you for a senseless reason ; You've rape my mind, you've shred my psyche because of your ego. You have a big mental issue Siuan and I refuse to pay for you."

Elle qui n'était pas née, ni gagnée par la violence, se sentait pourtant enivrée de vomir toutes ces horreurs sur son ancienne amie. Pas une seconde elle ne rougissait qu'Isla assiste à ça, bien au contraire. Le fragment se délectait de sa présence et de réduire, sous ses yeux, Iris en charpie.

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Isla, Siuan ft. Iris

La difficulté se trouvait chez Siuan. Tout en Iris ne désirait qu'une chose ; lui répondre, l'enfoncer, la faire chialer comme une enfant en la mettant face à ses multiples horreurs. Jamais elle ne saurait par quelle énergie elle réussit à se taire cette fois-là et à ne pas tenter de se soustraire à la prise d'Isla pour lui arracher la gorge à pleine dent.
Un monstre pourrait être en train de se faire les griffes en rugissant de douleur dans son crâne que la sensation serait exactement la même. Elle n'était qu'un mélange de haine, de souffrance, d'errance et Iris aurait donnée n'importe quoi pour que tout s'arrête malgré les protestations de cette étrange présence au fond d'elle. Une part de sa psychée ou de son âme refusait catégoriquement de se séparer de la douleur, au contraire. Avec la mélodieuse tentation d'une sirène, elle lui chantait Ô combien il serait si bon, si puissant et si satisfaisant de rester ensemble, de ne faire qu'un pour prendre revanche sur la silhouette blonde qui cherchait à piquer, blesser. Combien il serait si facile de la déchirer en lambeaux comme il a été facile de trancher la gorge de son propre père.

La voix d'Isla claque l'espace et le temps pour le remettre à sa place. Iris cligne des yeux, sa conscience glissante se calle sur la houle saline. Elle part, revient, s'écrase puis s'efface. Jamais son coeur et son corps n'avaient été ainsi mit au supplice de la sorte. Isla avait raison, s'en était assez. Qu'on lui arrache ce foutu animal de son crâne et qu'on en termine, même si pour cela elle devait y laisser la vie. Iris doutait que qui que ce soit ici puisse comprendre le fardeau qu'elle se traînait dans l'ombre de ses pensées et de son âme, semblable à un pacte que l'on aurait signé avec le diable sauf que la Sharp Eyes ne voyait aucun vœux exaucé pour subir une pareille torture.

Les mots d'Isla lui arrivent par bribes mais Iris en comprend l'ensemble. Le soulagement n'aurait pas pu être plus beau que de l'entendre l'approuver ; Siuan ne serait pas celle qui lui arracherait ce démon hors d'elle. Plus jamais la jeune femme ne voulait que son ancienne amie la touche, ni même ne l'effleure. Le dégoût était brutale, peut-être injuste mais incontrôlable. Le corps agité d'Iris se fit remettre à sa place par Isla qui perdait patience, attisant le démon qui claquait des crocs au fond d'elle, prêt à bouffer les doigts de la prophétesse. Iris força l'obéissance, consciente que sa chance ne se présenterait peut-être pas deux fois en vue du terrain gagné par le fragment. Elle ne sût si qui que ce soit prenait conscience de ça, aveuglée par le fracas de son esprit déchiré.

L'explication de Siuan la fit frissonner d'horreur, de dégoût et de rage. La Damodred semblait ne pas avoir tant souffert que ça de cette situation alors qu'elle… putain, c'était un carnage cérébral. Iris ne comptait plus les souvenirs qui n'étaient pas les siens, les cauchemars sanglants et de viols qui s'étaient infiltrés dans ses nuits blanches. Durant tout ce temps, un morceau de Siuan la possédait et l'avait articuler comme l'on animerait une poupée à son bon vouloir. Ce qui avait failli lui coûter l'une de ses plus belles relations et encore… serrant la main de sa belle-sœur dans la sienne, Iris sentit les larmes lui monter. Est-ce qu'Isla saura même lui pardonner après tout ça ? Et Bedelia ?

Et comme si ça ne suffisait pas, il fallait que la Damodred expose ses putains de vérités. Si quelques minutes plus tôt il était hors de question que Siuan ne la touche, ses propos installèrent le doute aussi férocement que les serres d'un oiseau.
Comment pouvait-elle remettre en doute les propos de Siuan lorsqu'elle avait ce même Chaos qui la bouffait de part en part, la détruisait lambeaux par lambeaux comme si elle n'était rien d'autre qu'un simple morceau de chair souple ? Iris n'était pas une mauvaise mage, elle avait l'expérience, la constitution nécessaire et les ressources pour vadrouiller hors d'Avalon sans trop de risque. Elle avait récupérer la moitié du parchemin de Morgana en se défendant avec succès contre l'ennemi … et pourtant, le Chaos de Siuan était plus destructeur que n'importe quel poison. La puissance d'Isla était à un niveau incomparable au sien, mais il l'était bien plus à celui de Siuan. Comme une évidence, Iris le sentait. Le devinait. Parce qu'avec ce foutu fragment planté dans le crâne, les choses s'éclairaient.
Si l'idée que Siuan puisse s'insinuer de nouveau dans son esprit la faisait déjà gerber d'avance, celle qu'Isla puisse payé le prix fort de ses erreurs était pire que tout le reste. La prophétesse n'avait-elle pas suffisamment souffert pour en plus lui faire prendre un risque comme celui-ci ? Jusqu'ici le fragment prenait l'ascendant sur la conscience d'Iris, mais il fallait croire que toute l'affection qu'elle portait à la prophétesse réussissait à lui ouvrir une fenêtre de répit et lui permettre d'articuler des mots intelligibles.

La Sharp Eye retient un grognement, traversée par une décharge douloureuse. Elle ignorait Siuan, posa son regard sur sa belle-sœur tant qu'elle était encore un peu elle-même.

"I really don't like admit that, but I think she's right." La voix tremblante comme prise d'un sanglot qui, pourtant, n'existait pas, Iris poursuivit. "Trust me, I'm ready to beg you to do this but there's no way this thing will hurt you as much as it hurt me. It's like a fuckin bomb. I know you're more powerful than anyone else but I will never forgive myself if the situation escalates and destroys you. I trust you but not this piece of crap inside me."

A peine eut-elle terminée sa phrase, qu'un déchirement strident lui vrilla le crâne.

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Who is in control

Isla, Siuan ft. Iris

Les mots réconfortants d'Isla sont comme un phare dans sa nuit noire. Iris plonge dans le néant où l'espace et le temps n'ont plus de forme, ni de mesure. Son corps est là sans l'être. Elle sait que le sable crisse sous ses genoux, que son épaule est accrochée par la main décidée de sa belle-sœur et qui lui diffuse une source de chaleur réconfortante, où que l'embrun caresse son visage. Mais de tout cela, Iris ne sent rien. La douleur, en revanche, palpite partout où elle peut, comme un virus cherchant à détruire son hôte.
La première tentative de la prophétesse la fit grincer des dents, plongeant ses os dans un froid invisible mais glaciale. La présence de l'imposant Chaos était désagréable malgré le choix d'une tactique douce, agitant sa puissance comme un appât de choix. Bien que bloquée tout au fond de son esprit, Iris frémit d'espoir ; S'il y avait bien une mage capable de la sortir de là, c'était Isla. Pour un instant, elle oublia la violence de ses erreurs, la peur de l'abandon et la honte oppressante d'avoir été si monstrueuse. La jeune femme se raccrochait au sourire chaud que la prophétesse lui avait donné, à ses encouragements. Iris l'avait déjà bien trop déçue pour lui faillir une nouvelle fois.

Alors elle ne lutta pas, même si sa présence lui donnait la nausée. Dès l'intrusion, le corps d'Iris s'était si tôt positionner en défense, prêt à rejeter toute nouvelle irruption forcée dans l'esprit déjà déchiré. La Sharp Eye dû faire un effort surhumain pour ne pas combattre la présence alors que son crâne menaçait déjà d'exploser. Sa tête était déjà trop pleine d'autodestruction, de fureur, de souvenirs qui ne lui appartenaient pas et maintenant la voilà qu'elle devait cohabiter non pas avec un autre esprit que le sien, mais deux.
Le peu qu'il restait d'Iris cherchait une faille, quelque chose qui pourrait aider Isla à lui retirer cette merde empoisonnée mais elle butta contre un mur de mazout épais et étouffant. La pourriture gagnait du terrain et la Sharp Eye aurait pu jurer entendre l'écho d'un rire satisfait lorsque le morceau de Chaos rugit face à celui d'Isla.
Son estomac se retourna brusquement, un éclair de douleur lui déchira les tempes lorsque le morceau imbriqué dans sa psyché s'enfonça plus nettement, toutes griffes dehors.

Le front en sueur et la tachycardie au bord des lèvres, la jeune femme fut à deux doigts de leur hurler de partir et de la laisser se noyer qu'on en finisse. La présence d'Isla persistait, le fragment se jouait d'elle et Iris perdait pieds. L'assaut des deux esprits siphonnait le peu d'énergie qu'elle avait encore. Et si elle lâchait totalement prise jusqu'à ce que cette merde ne la détruise entièrement ? Son corps ne tiendrait pas le choc, son cerveau allait lâcher, ses organes allaient suivre les uns après les autres et tout s'éteindrait une bonne fois pour toute. Au moins, elle pourrait emporter ce monstre avec elle.
La solution fût terriblement tentante. Sa simplicité aussi. Sûrement que la souffrance serait abominable mais après ces derniers semaines, c'était presque rien à ses yeux. Ce n'était que l'affaire d'une poignée de minutes, non ?

La Sharp Eye n'eut pas le temps de se laisser glisser. De nouveau, elle fut ensevelie et perdit contact avec la réalité.
Son corps qui, auparavant, était plongé dans un bain de glace se retrouvait brutalement noyer dans de la lave pure. Sa température augmentait rapidement, peut-être trop, malmenant les battements de son cœur qui cognaient furieusement dans sa poitrine.

La douleur n'était comparable à rien d'autre. De tout ce qu'elle avait vécu jusqu'ici depuis la cohabitation avec le fragment de Siuan, rien n'avait été aussi pénible et douloureux que la déchirure qui grinçait dans sa tête. Iris poussa un cri de douleur une première fois, puis ce fut la lente agonie. Sa gorge s'écharpait sous les rugissements, les pleurs, les suppliques. Isla et Siuan aurait aussi bien pu plonger leurs deux mains à même le cerveau de la Sharp Eye que la souffrance aurait été la même. A mesure que le morceau se délogeait, un bruit aigu lui déchirait les tympans et la psyché. Iris crut sombrer dans la folie pure. Ses souvenirs éclataient, se fracturaient, se noyaient à d'autres qui n'étaient pas les siens, comme une vaine tentative de ne rester qu'un. Il y avait les voix menaçantes, les cris, les pleurs, les deuils, les dénis et les terreurs d'être abandonnés. Les amours fuient, la persuasion de n'être pas assez bien pour l'autre, de n'être rien du tout, de ne pouvoir compter sur personne d'autre que soit. L'absence de sens à sa vie, les "pourquoi" continué si tout s'effondrait. Les manques. La culpabilité farouchement plantée comme un arbre centenaire ayant pris racine depuis la petite enfance pour n'avoir jamais pu être réellement à la hauteur.

Sans se voir, ni vraiment le sentir, Iris criait sa souffrance, les yeux écarquillés, les ongles plantés dans le crâne. Les veines de ses orbites éclataient en de multiples tâches rouges, sa bouche fut rapidement baignée d'un liquide chaud et épais alors que son nez se mit à saigner abondamment et elle crut vivre la plus longue torture de sa vie. Ce qui n'était peut-être que quelques secondes ou minutes, étaient pour elle des heures entières passées sous un rouleau compresseur serti d'épines acérés, plongées dans l'acide et la lave à la fois.
La maigre parcelle d'elle-même luttait du mieux qu'elle pouvait. Sa conscience trifouillait dans les montagnes de souvenirs pour extirper ceux qui valaient la peine de tenir. Le rire de James fut le plus efficace d'entre tous.
Ses ongles griffaient ses tempes, cherchaient à extraire la présence des multiples chaos de ses propres mains. Son crâne allait exploser. Il y avait trop de monde, trop d'invasion mais par-dessus tout, le fragment était le pire des cancers à exterminés. La pourriture affamée se débattait avec rage, furieuse qu'on la retire après tout ce travail abattu. Iris l'entendit distinctement entre ses tympans : Si proche du but.
Si proche de tenter Siuan d'utiliser Iris comme conduit.
Si proche de siphonner ce corps jusqu'à y prendre ses quartiers et en faire ce qu'il voulait.
Elle répugnait le pardon et le pleurait à la fois. Le méritait-elle réellement après avoir laissée Céleste mourir ? D'avoir failli à tous ceux qu'elle aimait ?

Le temps d'une seconde, Iris se vit à travers les yeux de Siuan. Une seconde où elle eut le temps de sentir la présence chaude d'un corps qu'elle connaissait bien, tout contre elle. De frémir sous la fraîcheur de la brise, du contraste brusque entre la chaleur de ses joues et la fraîcheur de ses larmes. D'avoir la sensation de ne plus pouvoir respirer tant le sanglot venait de loin et lui écrasait la gorge.
Au milieu du cataclysme, le parfum d'Isla caressait les sens de la jeune femme comme une main chaude et réconfortante sur son cœur.

Un éclair rouge lui broya le crâne et le noir fut instantané. Aussi brutale que la mort.

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